Vous mangez des champignons "français" provenant de Chine ou de Pologne

De WikiRP

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Petit pavé avec un TLDR à la fin. Gros rant, désolé !

Lexique

Grain spawn / Mushroom spawn : Le grain spawn est un substrat utilisé pour la culture des champignons. Il est constitué de grains de céréales, tels que le riz, le blé ou l'orge, qui ont été inoculés avec un champignon. Le grain spawn est utilisé pour démarrer la croissance du mycélium dans un substrat plus important, tel que du compost ou du bois.

Hygrothermie : conditions d'humidité et de température optimales pour la croissance du mycélium. Les conditions d'humidité idéales pour la croissance du mycélium sont comprises entre 70 et 90 %. Les conditions de température idéales pour la croissance du mycélium varient en fonction de l'espèce de champignon.

Inoculer : implanter un champignon dans un substrat. L'inoculation est une étape importante de la myciculture, car elle permet de démarrer la croissance du mycélium dans le substrat.

Mycélium : ensemble des filaments qui forment le corps végétatif du champignon. Le mycélium est invisible à l'œil nu. Il est constitué de filaments fins et ramifiés qui se développent dans le substrat.

Avant propos

Voila des années que, par passion, je fais pousser des champignons dans plusieurs caves autour de Paris (principalement chez moi, mais aussi dans la cave de ma mère et de ma sœur). Aucune envie d'en faire "plus que nécessaire" ou de les revendre à la grosse distribution, mais il m'arrive parfois de produire plus de 100 kilos en deux ou trois semaines sans forcer. Pleurote, hydne hérisson, champignon de Paris ou autre sont donc pléthores.

Ceci étant dit, je ne me considère absolument pas comme un professionnel du secteur, mais comme quelqu'un ayant des connaissances relativement avancées sur la production de mycélium et de champignon, gérant à la fois les aspects laboratoires (clone génétique, cross species, mycélium mère...) et les aspects de culture propre (substrat optimisé, température parfaite, humidité, etc.)

Il y a de ça quelques années, j'étais consultant pour Publicis Consultants puis LVMH, avant d'ouvrir plusieurs fonds de commerce en France, notamment un équivalent Picard et un équivalent Intermarché. Mes fonds de commerce sont tous sous franchise, j'ai donc une vue sur les centrales d'achats et la liste des plus gros producteurs de champignons qui vendent en France. Dans un soucis d'anonymat partiel (lol), je ne donnerais aucun nom de producteur ni d'enseigne (enfin, on verra, je suis pas fixé).

I. Un problème de loi

A échelle européenne ou française, le champignon pose problème. Certains parmi vous ont surement déjà consommé des champignons hallucinogènes, les fameux champignons à psilocybine, sans se poser trop de question sur la provenance et lieu de culture (distinction importante pour la suite du rant) de ces derniers.

N'importe quel consommateurs souhaitant faire sa propre culture de champignon hallucinogène à la maison n'a qu'à faire une petite recherche sur internet pour tomber sur une quantité astronomique de site vendant des kits complets de pousse avec le mycélium à l'état liquide (on parle couramment de culture liquide / liquid culture), qu'il suffit d'inoculer dans un substrat déjà préparé par ce fameux site qui surfe entre la légalité et l'illégalité.

Car oui, si l'Etat français et l'extrême majorité des pays européens interdisent la vente et la production de mycélium à l'état solide, il n'en est rien pour sa version liquide.

Le vis se trouve dans la catégorisation de la culture liquide et du blanc de champignon (le mycélium). Ainsi, l'UE considère que la culture liquide est un produit agricole - donc légal -, tandis que le blanc de champignon est considéré... comme produit stupéfiant. Oui oui, vous avez bien compris, le simple fait de plonger le même mycélium dans de l'eau sucré lui enlèverait ses propriétés psychotropes.

Plusieurs experts ont tout de même fait fronde il y a quelques années, soulignant l'énormité de la loi, mais d'autre, notamment dans les lobby pharmaceutique, ont prônés que la distinction permettait aux laboratoires de travailler en toute légalité sur les molécules responsables des effets stupéfiants des champignons.

En toute honnêteté, je n'ai rien contre l'utilisation des champignons hallucinogène et prône même une utilisation plus globale, notamment dans le cas de traitement des addictions à l'alcool, au tabac ou dans des cas plus extrêmes, afin de soulager psychologiquement des patients en phase terminale de cancer ou autre maladie.

II. La problématique de la loi des champignons stupéfiants et ses impacts sur les champignons "gourmets"

Mais alors me direz vous, quel rapport avec mes champignons de Paris acheté entre 4 et 8 euros du kilos en grande surface ? J'y viens, j'y viens !

Et bien c'est assez simple et à la fois compliqué, alors reprenons depuis le début. Pour grossièrement schématiser, un champignon pousse après plusieurs étapes :

  1. Création de la souche mère,
  2. Inoculation du grain spawn,
  3. Attente de 2 à 4 semaines selon l'espèce, pour que le grain spawn soit entièrement colonisé,
  4. Inoculation du substrat avec le grain spawn,
  5. Attente de 2 à 4 semaines,
  6. Récolte,
  7. Attente de 1 à 2 semaines,
  8. Récolte (En hobby je récolte trois fois mes sacs, mais les professionnels s'arrêtent à deux car la troisième récolte n'est plus rentable).

La loi considère ainsi distinctement le mycélium (étape 1 à 5) du champignon (6 à 8).

Parlons maintenant coût (mais promis, après je vous dis pourquoi vous mangez surement de la merde qui a fait le tour du monde !).

A petite échelle, je produis 100 kilos pour un coût avoisinant les 2.10 € du kilos. La principale source de dépense est le substrat (j'utilise de la paille agricole non traité), l'électricité et l'eau (les champignons sont composés à 80% d'eau).

A plus grande échelle, on avoisine des coûts théoriques plus faibles de l'ordre d'1.50 €, l'écart est relativement faible avec ma production, mais il ne faut pas oublier qu'une usine paie un loyer important, des charges incompressibles, etc.

Alors comment est il possible qu'un produit coûtant au bas mot 1.50 € soit revendus à 4 € le kilos, sachant qu'il faut payer le transporteur, la centrale d'achat (la franchise), puis le magasin en dur dans lequel le produit est vendu ?

C'est très simple, on fait comme Orange jadis, on fait faire le sale boulot à l'étranger par des gens payés au lance pierre, avec un contrôle qualité inexistant.

Question naturelle qui vous viens maintenant, comment est il possible que le champignon soit labélisé production française s'il vient de l'étranger ? (Voir bio, alors que c'est du bs)

Et bien voyez vous, cette fameuse loi concernant la culture liquide, le blanc de champignon et le champignon en lui même permet de distinguer l'étape de pousse du mycélium de celle de la récolte. Elle considère aussi qu'un mycélium modifié ne donne pas nécessairement un champignon OGM (Oui, c'est très, très con).

Vous voyez où je veux en venir, n'est-ce pas ?

Les étapes 1 à 4 sont réalisés dans les principaux pays producteurs de champignon de Paris, à savoir la Chine et l'Inde, parfois la Pologne, avant d'être envoyés sous forme de sacs plastiques stériles aux salles de récoltes françaises.

Dans certain cas, il est possible d'envoyer des sacs qui ne sont pas complètement colonisés par conteneur maritime grâce à des souches mères particulières résistantes aux variations de températures (l'humidité est présente dans le sac) et avec un temps de maturation du mycélium de 80/90 jours, trois fois plus longues que des souches "normales", afin d'arriver par bateau pile à temps pour être récoltés.

Le mycélium est ainsi modifié, cloné à l'infini (et donc appauvri), le client pense acheter un produit, si ce n'est local, au moins français, l'usine Bond.. Carref... je veux dire les usines dont je ne donnerais pas le nom n'ont aucune étape particulière à faire, en dehors d'ouvrir le sac une semaine pour que les champignons sortent.

Pour pousser mon expérience un peu plus loin, j'ai contacté au travers de ma femme qui parle hindi, des fournisseurs indiens de sacs prêts à la récolte. Ils m'ont annoncés, sans possibilités de vérifier la véracité de ces propos, vous vous en doutez, livrer à des grandes FAMILLES (bon, j'ai déjà quasi donné leur nom mais on ne sait jamais) et des grands industriels français des quantités astronomiques de blanc à des prix risibles.

On parle de 55 roupies indiennes par kilos (on considère qu'on peut récolter 110% du poids total du substrat en champignon, parfois 180% sur les pleurotes par exemple), soit environ 0.55 centimes.

Le coût de "production" - disons le franchement, plutôt le coût de récolte - est ainsi, à minima, deux à trois fois inférieurs à ce que le champignon devrait coûter à produire, de A à Z, sur le sol français.

III. Pourquoi ton rant ? Que faire ?

Mon rant n'est pas juste contre cette problématique de classification des différentes étapes de vie du champignon, ni de l'incapacité de l'Union à trancher sur des questions aussi simples d'apparence, elle l'est aussi (et surtout) sur la publicité mensongère éhonté des producteurs faisant appel à ce genre de service délocalisé.

En l'état actuel des choses, il vous est tout bonnement impossible d'obtenir un suivi vérifiable et véridique sur la provenance de votre champignon, il vous est impossible de savoir si ce dernier a subi des modifications génétiques (je ne dis pas que c'est nécessairement une mauvaise chose, je le fais aussi indirectement en clonant et croisant mes champignons) ou s'il respecte des normes durables.

Un autre aspect édifiant qui n'est jamais mis en lumière est l'appauvrissement génétique du champignon de Paris (les autres espèces sont bien moins cultivés). En effet, nous partons du postulat qu'il existe environ quatre souche mère de champignon de Paris dans le monde, découvert au fil du 20e siècle et modifié tout au long de ce siècle.

Pour agaricus bisporus, le champignon de Paris, il n'existe que deux souches mères industrielles dans le monde. L'intégralité des champignons que vous mangerez dans votre vie dépendent de ces deux souches uniques. Outre la question de l'uniformisation du goût, il y a aussi une question de durabilité. Une souche mère n'est pas éternelle et va finir par avoir de nombreux défauts : goût de champignon qui s'estompe, utilisation de pesticide obligatoire car le champignon est de plus en plus faible ...

Alors, que faire ? Comment trouver des champignons de bonne qualité qui n'ont pas fait le tour du monde ?

Je n'ai que deux réponses éventuelles.

  • Vous rapprocher de structure de myciculture qui ont pignon sur rue dans vos villes, de plus en plus d'entrepreneur décide de se lancer dans l'aventure, comme avec cette entreprise qui fait pousser des champignons dans Paris, celui ci à Bordeaux et alentours, celle-ci à Évecquemont, ou encore celle-ci à Mery-sur-Oise (merci à Mysterius_ et à son commentaire pour l'ajout !). Bref vous trouverez de nombreux entrepreneurs/myciculteurs se lançant dans l'aventure, potentiellement sous vos pieds, sans que vous ne vous en rendiez compte. L'avantage est non seulement l'accès à des champignons plus respectueux de l'environnement, mais cela vous permettra aussi de découvrir des espèces trop fragiles pour être vendu en grande surface, comme l'hydne hérisson (une tuerie qui ressemble fortement à du homard au goût !).
  • Vous lancez vous même dans la culture de champignon à petite échelle, suffisante pour votre consommation personnelle . Je compte, dans un mois ou deux, faire un post détaillé et long avec toutes les informations dont vous auriez possiblement besoin pour faire pousser 3 à 5 kilos de champignon toutes les deux semaines, chez vous, sans investissement particulier, vous permettant non seulement de manger des espèces inhabituelles, mais bien plus goûteuses que le champignon de Paris, meilleur en apport et... beaucoup moins cher !

N.B 1 : Je n'ai aucun rapport avec les entreprises évoqués, que ce soit la famille Bond... ou les entrepreneurs qui ont ouvert des fermes urbaines. Je vous invite d'ailleurs à faire vos recherches vous mêmes ce concernant !

N.B 2 : Je n'ai pas pu modifier le titre malheureusement et le commentaire de zabaaaa a souligné quelque chose que je n'avais pas assez bien expliqué. La Chine et l'Inde exportent la majorité des champignons que nous consommons. Une partie arrive sur le territoire national afin d'obtenir la mention "Cultivé en France/Produite en France" afin d'avoir un mark up significatif sur le prix de revente de la barquette de champignon non transformé, parfois passant du simple au double. L'autre partie est envoyé dans les usines polonaises de transformation du champignon, qui est ensuite surgelé pour être envoyé dans des usines de production de pizzas, de plats industriels, de kebab ou que sais-je encore, en bref dans des commerces où l'origine du champignon n'est pas indiqué et n'a pas d'impact sur le prix de revente, permettant ainsi à l'industriel d'avoir accès à une main d'oeuvre et des taxes bien moins importantes qu'en France.

N.B 3 : Vous êtes plusieurs à être impatient à l'idée de vous lancer dans la production de champignon mais à me souligner que vous n'avez pas de cave ou que l'investissement vous semble important. Rassurez vous, j'ai commencé (et utilise encore régulièrement) des techniques ultra low cost, ici une caisse en plastique avec un sac poubelle pour faire office de liner, dans un cagibi de mon appartement pour faire pousser des champignons. La cave est un atout, mais en rien une obligation. (Oui les champignons sur la photo sont desséchés, je les avais oubliés avant de partir en vacance, mais l'idée est là !)

TLDR : Un flou juridique européen permet de distinguer les différentes étapes de pousse de champignon - cela reviendrait à dire qu'un manguier ne donne pas nécessairement des mangues -, permettant à des grandes entreprises d'importer des sacs de substrat déjà colonisé à 100% pour un prix dérisoire d'Inde ou de Chine, d'ouvrir les sacs, de récolter les champignons et de les labéliser Bio, Eco Responsable et français, alors que dans leur cycle de vie, ils ont été boosté aux pesticides à l'étape de mycélium et ont voyagé plus que Taylor Swift en deux mois. Cela a un impact sur la qualité des produits que vous consommez, sur l'uniformisation des goûts, la disparition à petit feu des souches mères et j'en passe.